Insolites

L'art de la Halqua, photo intemporelle d'une culture

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Les richesses d’une culture ne sont pas forcément enfouies dans les livres, les traités, les essais ou les conférences universitaires. L’homme, depuis la nuit des temps, vit son quotidien en imaginant à chaque instant son devenir, en s’aidant d’un passé qu’il fixe dans sa mémoire. Avant même d’inventer les traces écrites, ces idéogrammes qui permettent de thésauriser les connaissances et de les transmettre, il y a l’art oratoire, la littérature du mot que l’on clame.

Toutes les cultures, dans le monde entier et depuis toujours ont vu leur histoire se construire grâce au  conte. L’homme ou la femme médecine, le chamane, le druide ou le sorcier furent les premiers conteurs. Ils se devaient de raconter pour être compris et suivis, ils se devaient d’inventer un décor à leur savoir pour en asseoir la crédibilité. Puis les trouvères, les troubadours ou les bardes ont pris le relais. Les colporteurs, ces hommes infatigables, qui chaque jour arpentaient les routes avec les aiguilles, les tissus, les rubans ou les ustensiles de cuisine, furent et sont encore aujourd’hui des conteurs.

Bien sûr, de nos jours la vitesse de transmission de l’information rend presque impensable un tel mode de communication.
Et pourtant, en transmettant une information en temps réel, juste pour être informatif, juste pour être le premier à savoir ou à dire, transmet-on pour autant l’essence d’une culture ? Peut-être mais…

Au Maroc, l’art de la Halqua, le cercle qui se forme autour du conteur, est un art encore vivace que l’on doit préserver comme le patrimoine intangible d’une culture. A Marrakech, à Fès ou à Tanger, dans le moindre petit village de l’Atlas, lorsque le cercle se forme, c’est le rêve et l’imaginaire qui prennent le pouvoir. La voix est modulée, passant du simple chuchotement au cri déchirant. Le corps se met en mouvement, parfaitement synchrone avec le rythme verbal. Un théâtre complet prend vie. Les spectateurs sont, eux aussi, un spectacle. Les mimiques d’effroi, d’angoisse ou de joie se lisent comme un chapitre du conte qui se déroule. Le conteur est seul, dans une danse corporelle presque immobile, ou accompagné d’un musicien armé d’un Bendir, ou peut être même d’une danseuse voilée (un homme en réalité) ou d’un acrobate si, il ne l’est pas lui-même. Chacun sa technique, son mode opératoire, mais tous ont en commun une histoire, l’histoire d’une épopée, d’un village, d’une femme ou d’un homme. L’histoire d’un peuple dont on retrouve la quintessence dans chaque scène, chaque épisode narré jour après jour.

La culture Berbère, orale par excellence, est particulièrement servie par ce mode de transmission. Comment garder mémoire de l’histoire si ce n’est en la transmettant. Comment donner à tous l’accès à la connaissance sans la barrière de l’écrit si ce n’est en déclamant, chantant ou racontant. Un homme étonnant, Mohammed  Mrabet, peintre et conteur né à Tanger, en est peut être l’exemple le plus frappant. Son œuvre est connue et admirée, il ne sait ni lire ni écrire. Il transmet les histoires entendues toute son enfance, contées par ses parents et grands parents. Son parcours est celui d’un fugitif, d’un pêcheur, puis d’un cuisinier ou d’un caddy. Et puis une rencontre avec le couple Bowles changera sa vie. Ses œuvres sont enregistrées et transcrites puis éditées. Mais il n’est qu’un exemple. Tous les autres conteurs de rue, avec lui,  forment la chaîne du patrimoine culturel d’un peuple. Cette chaîne ne doit pas et ne peut pas se rompre.

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